vendredi 5 janvier 2007

Autocéphale

Trois textes remarquables en réponse au grand défi lancé par la RSA (pour rappel, la proposition d'écriture ayant donné lieu à ces courts bijoux fantaisie se trouve en bas de page). Quant à la véritable colle de cette saison, ce n'était pas le mot Aufklarüng - tout le monde sait qu'il s'agit simplement des Lumières, au sens du XVIIIe (siècle et non arrondissement), nous confirme Obin-Murt -, mais bien autocéphale, terme à propos duquel se sont multipliées les prises de tête perplexes au sein des cénacles les plus élevés de la lexicographie parisienne. Mais les textes qui suivent nous livrent probablement les seules explications valables de la chose, sous le clavier de leurs auteurs.

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ICH BIN EIN BERLINER

Je me suis rendue à une soirée de réveillon organisée par des gens heureux pour des gens qui restaient seuls au moment délicat du changement d’année, à moins qu’ils ne demeurent qu’entre personnes du même sexe ce qui ne changeait rien à leur ordinaire, donc ils étaient seuls.

- Vous avez une jolie couleur de cheveux, m’a dit mon voisin de table, un individu contre qui je n’avais rien, si ce n’est qu’il pesait 50 kilos maximum pour 1 mètre 62 avec posé sur tout ça, une petite figure mourante.
- C’est du auburn, j’ai marmonné.
- Où ça ? Il a demandé d’un air surpris.

Et sourd avec ça.

- En tout cas, il a ajouté d’un air fébrile, dès minuit sonné, je m’envole aucuba avec qui veut bien me suivre.
- A cuba ! Je n’ai pas pu m’empêcher de grommeler.
- Aucuba ! Il a insisté. Ca veut dire de suite, immédiatement, sans tarder !
- Tout à fait aufklärung, j’ai encore marmonné.
- Vous êtes germaniste ? Il a dit d’un air très intéressé. Voilà qui serait de bonne augure ! Ich bin ein Berliner !

Tout ça parce que j’avais dit un mot en allemand dont je ne connaissais même plus le sens. Je crois que ça avait à voir avec l’électricité.

- Vous prendrez bien un peu d’aulx ? Il m’a fait en me tendant un drôle de truc qui puait tout aussi drôle.
- Non merci, j’ai bafouillé, j’ai un problème à l’auriculaire.
- Bon, je comprends, il avait l’air déçu, moi qui pensais vous proposez un coup d’austral…
- Plait-il ?
- Je ne propose ça qu’à des gens dont je sens qu’ils relèvent tout comme moi de la grande Eglise autocéphale de Biélorussie ! Il a gloussé ce con.
- Mais je ne relève de rien du tout ! J’ai protesté. Mis à part du célibat terminal !
Je me suis sincèrement demandé ce que j’étais venue faire dans cette autrucherie et si le fait de finir l’année comme on l’a commencée (seule), justifiait une telle poisse… avant que de succomber aux charmes troubles de ce Pope qui m’a proposé la botte afin de rompre le maléfice de l’auto-céphalisme (prise de tête solitaire) et de nous envoler pour Berlin Est taguer les restes du mur.

Marie Chotek
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L'ILE MACQUARIE

- 15°.
L’hiver austral sur l’Ile Macquarie s’annonçait sous de biens sombres augures. Au chaud dans sa cabane, Claire, l’écharpe drapée dans ses cheveux auburn, sentait les rhumatismes l’envahir jusqu’au bout de l’auriculaire, rien qu’à écouter le sifflement douloureux du blizzard assourdissant des 60ème rugissantes. Et dire qu’il y a peine dix heures, à l’aéroport de Sydney où elle faisait escale, elle feuilletait un magazine de l’Office du Tourisme Australien qui vantait les balades dans le bush, les safarisde kangourous et la visite des autrucheries du désert. Quelle folie lui avait fait quitter le confort de chez Papa-Maman et sa thèse idiote sur "l’influence de l’Aufklärung sur lemodèle économique libéral d’Adam Smith", pour se retrouverperdue dans le grand Sud ? Et tout cela pour partager une biquoque miteuse, sans eau ni électricité, avec un vieux scientifique asocial et sa barbe digne d’un pope de l’église orthodoxe autocéphale ukrainienne ?

Jean Abbiateci

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Aufklärung

Isidore Aulx n’était pas de bonne humeur, ce matin-là. Peut-être à cause de son nom qu’il trouvait de plus en plus ridicule chaque jour, bien qu’il le portât depuis une quarantaine d’années avec une résignation qui faisait l’admiration de ses proches. Peut-être aussi parce que sa femme revêche et volage avait modifié, sans lui demander son avis, la couleur de ses cheveux. Elle était passée d’un blond vénitien à un auburn trop flamboyant à son goût. En fait, la véritable raison de son humeur taciturne et bougonne c’est qu’il devait, ce jour-là, se rendre à l’autrucherie de son quartier pour y acheter un coccycomédon femelle qu’il voulait offrir à son neveu, zoologue déjà confirmé bien que portant encore des culottes courtes. Isidore Aulx détestait tous les animaux, qu’ils soient imberbes, à plumes, à poils ou à cornes. Quant aux insectes à carapace lisse ou à peau gluante, ils le révulsaient encore plus. Avant de partir, pour calmer ses nerfs à vif, il alla dans son jardin contempler l’aucuba qu’il avait planté quelques années plus tôt. La vision de cet arbrisseau à feuilles coriaces vert et jaune et à fruits rouge vif lui apportait une sérénité qui lui permettait d’affronter tous les désagréments de sa vie morne et placide. Quand il sortit dans la rue, il manqua glisser sur une crotte de chien qui trônait au milieu du trottoir. « Mauvaise journée en perspective ! » s’écria-t-il à voix haute, au grand dam des passants qui le dévisagèrent avec frayeur. Il en accepta l’augure en soupirant. D’ailleurs, son auriculaire gauche le faisait souffrir depuis la veille au soir. Signe indubitable que le temps, déjà chaud, allait virer à l’orage. Il est vrai qu’il s’était progressivement habitué au climat de l’hémisphère austral, même s’il eût préféré vivre sous des latitudes plus tempérées. En se dirigeant vers l’autrucherie il rencontra, dans une sombre venelle, l’évêque autocéphale de la ville qui se rendait, juché sur des rollers silencieux, à l’église pour y célébrer à la sauvette un mariage pas très orthodoxe. Il le salua avec déférence, bien qu’il fût agnostique de naissance. Puis, malgré la sueur qui commençait à perler à son front, il accéléra le pas, comme s’il éprouvait soudain de la peur, alors que tout semblait calme autour de lui. Mais au sortir du quartier, Isidore Aulx fut brutalement arrêté par une patrouille militaire. Un gradé, en pointant son fusil-mitrailleur vers sa poitrine, lui cria d’une voix rauque : « Aufklärung ! » Isidore Aulx n’avait jamais entendu ce mot. Il n’en connaissait donc pas le sens. Comme il n’avait pas ses papiers sur lui, il tendit ses mains, en signe d’apaisement et de concorde, bien qu’il sût que cela ne servirait à rien. Le militaire lui passa aussitôt les menottes en le fixant de ses yeux glauques. Isidore Aulx fut ensuite saisi par deux sbires adipeux qui le poussèrent sans ménagement vers le mur des fusillés.

François Teyssandier

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Auroral, l’austère Aurélien-Anicet hennissait en se fourrant dans le gosier, de l’auriculaire, des aulx auspicieux. Haussant le regard, il ausculta l’autrucherie où les déplorables volatiles, au croupion teint depuis peu en auburn, se goinfraient, à défaut d’aubergines dans leur auge, d’aucubas – aubaine de bon augure, comme l’eût souligné son aumônier, auguste hautboïste et autocéphale autant qu’austral prélat, ni augustinien ni austromarxiste, mais toutefois pétri d’Enlightment, de Lumières, bref d’Aufklärung.

Solomon K. Hirschfeld